Définition
Le congédiement déguisé peut être décrit comme une situation dans laquelle l'employeur a indirectement congédié l'employé en modifiant unilatéralement les conditions essentielles d'emploi, forçant ainsi l'employé à démissionner. Ces situations peuvent être déguisées en rétrogradations, suspensions et même modifications de la rémunération de l'employé.
La question suivante a récemment été posée à notre cabinet :
Q: Le fait de modifier le mode de paiement d'un bénéfice, tel qu'une commission ou une prime, (sans supprimer ou modifier le bénéfice) constitue-t-il une modification substantielle au contrat de travail ?
R: Absolument, modifier le mode de paiement d'une rémunération est considéré comme une modification substantielle du contrat de travail, ce qui peut amener l'employé à invoquer un congédiement déguisé.
Commençons par une petite introduction
L'article 124 de la Loi sur les normes du travail serait le fondement juridique utilisé par un ancien employé pour déposer une plainte auprès de la Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST). Pour qu'un employé congédié puisse déposer une plainte en vertu de cet article, il doit justifier de deux ans de service continu dans la même entreprise et croire qu'il n'a pas été congédié pour une cause juste et suffisante. Cet article est, ainsi, utilisé par l’ancien employé qui croit avoir été congédié de façon déguisée.
Jurisprudence
L'arrêt de la Cour suprême Farber c. Cie Trust Royal, [1997] 1 R.C.S. 846 est l'arrêt définissant le congédiement déguisé. Le juge Gonthier fournit, en effet, une analyse du cadre des critères cumulatifs de la notion de congédiement déguisé :
- une décision unilatérale de l'employeur;
- une modification substantielle des conditions essentielles du contrat de travail;
- le refus des modifications apportées par le salarié et
- le départ de l'employé.
Par ailleurs, l'arrêt Farber fournit le test objectif permettant de déterminer si un salarié a été congédié de manière déguisée : une personne raisonnable se trouvant dans la même situation que le salarié, estimerait, que les conditions essentielles au contrat de travail ont été modifiées de manière substantielle. Par ailleurs, la Cour suprême, dans l'arrêt Farber, note que dans plusieurs décisions, tant au Québec que dans d'autres provinces, il a été jugé qu'une rétrogradation constitue une modification substantielle des conditions essentielles d'un contrat de travail. De plus, dans certains cas, une modification unilatérale de la méthode de calcul de la rémunération d'un employé a permis de conclure à un congédiement déguisé.
En outre, l’arrêt Papachristopoulos c. Medisca Pharmaceutique Inc. et al 2019 QCCS 24 nous explique, que selon la doctrine et la jurisprudence, que ce soit en France, au Québec ou en droit commun canadien, si un employeur modifie substantiellement la rémunération, que ce soit par le biais d'un salaire ou d'une commission, cela affecte un élément essentiel au contrat. Un autre exemple, dans la décision Broadman c. Compagnie de publications Michael Inc., 2024 QCTAT 38 a indiqué, qu'une personne raisonnable placée dans la même situation qu’un employeur cessant de payer 100% des avances sur commissions pendant trois cycles de paie pourrait être considérée comme modifiant substantiellement le contrat de travail de son employé.
À l’inverse, la décision de la Cour d'appel, dans l'affaire St-Hilaire c. Nexxlink inc. 2012 QCCA 1513 énonce que lorsque les conditions d'un contrat de travail, telles que les dispositions relatives aux primes annuelles, permettent expressément des changements relatifs auxdites primes, de tels ajustements ne peuvent pas être considérés comme un congédiement déguisé. En effet, l'employé a explicitement accepté ces conditions et aucune décision unilatérale n'a été prise par l'employeur. Dans ce cas, l'employeur est autorisé à apporter des modifications à la situation du salarié comme le permet le contrat, en vertu des prérogatives de gestion de l'employeur. Ces ajustements ne constituent pas des modifications du contrat de travail mais plutôt son application.
Conclusion
La plupart des employeurs ignorent que même la plus simple modification du contrat de travail d'un employé peut donner lieu à un litige portant sur un congédiement déguisé. Par conséquent, les employeurs doivent examiner attentivement si toute modification proposée au contrat entraînerait une modification substantielle d'un élément essentiel au contrat de travail.
Depuis l’arrêt Farber et la jurisprudence subséquente, la doctrine Tendances en matière de congédiement déguisé de Jean-Marc Fortin nous fournit les éléments qui doivent être analysés dans la détermination du congédiement déguisé :
- L'existence d'un contrat de travail;
- Les termes du contrat de travail et les prérogatives de gestion de l'employeur;
- L'existence d'une modification unilatérale par l'employeur;
- La présence d'une modification substantielle des conditions de travail du salarié;
- La présence d'une modification des conditions essentielles au contrat de travail du salarié;
- Le test de la personne raisonnable;
- L'acceptation tacite ou expresse des modifications par l'employé;
- La présence d'un motif sérieux justifiant la modification contestée;
- Un préavis doit avoir été donné;
- L'intention malveillante ou la mauvaise foi de l'employeur.
À la lumière de la jurisprudence et de la doctrine, les employeurs doivent faire preuve d'une grande vigilance lors de la rédaction de leurs contrats de travail de afin de prévenir les litiges pouvant résulter de modifications ultérieures. Il convient de s'assurer que les termes du contrat sont clairs, complets et qu'ils comprennent des dispositions qui anticipent les changements potentiels dans l'emploi. De cette manière, les employeurs pourront minimiser le risque de plaintes pour congédiement déguisé et pour d'autres problèmes juridiques, protégeant ainsi à la fois leurs intérêts et ceux de leurs employés.